Cette perpétuité et ces lois, un Nisard, un Taine, un Brunetière en ont le sentiment comme Sainte-Beuve. Mais Nisard les voit sous forme de canons, Taine de physiologie, Brunetière d’architecture, Sainte-Beuve de géographie.
Une géographie, c’est-à-dire un donné où la raison certes travaille, mais où l’expérience, la découverte, ont leur part, où rien n’était prévisible, où la nature n’a jamais agi logiquement, où elle propose ses hasards à l’homme qui y ajoute, qui les fixe ou qui s’y fixe. La critique consiste à épouser cette géographie, à la suivre, à la refléter en y collaborant. À vingt-cinq ans le Sainte-Beuve des Pensées de Joseph Delorme prévoyait et dessinait, dans une page où le cours de la critique est comparé au cours d’un fleuve, le Sainte-Beuve des Lundis.
Un géographe et un promeneur intelligent. En 1830 triomphait une critique de la chaire. Ce jeune bourgeois de Paris, ce célibataire du Quartier Latin, lui substitue peu à peu une critiqua pedestris, qui circule dans les lettres françaises comme le bourgeois dans sa ville, comme le poète Delorme dans cette banlieue qu’il découvre et dépeint par petites touches. Il peut avoir ses préjugés, ses manies, ses envies, ses haines prudentes (celles de quelqu’un qui se bat sous le parapluie, qu’il n’oublie pas plus que le roi Louis-Philippe) mais il connaît toutes les maisons, tous les habitants, toutes les familles, chronique vivante de la cité séculaire.
Tel était déjà le caractère de son premier ouvrage, celui de son âge de vingt-trois ans, le Tableau historique et critique