pénétrer dans le cœur des femmes, par son génie de confesseur.
Plus que de poète et de romancier, sa vocation, à laquelle la critique le ramène par un détour, est d’un moraliste. Il se connaît lui-même de la substance dont sont faits les grands moralistes français, de Montaigne à Chamfort. La grandeur de sa critique, moins qu’au poète mort jeune, tient à cette tradition du moraliste venu de loin, et qui va loin. Voilà le sel antique, autochtone, qui a fait incorruptible cette critique hebdomadaire, et qu’on trouve à l’état natif dans les blocs de tant de Pensées, depuis celles de Joseph Delorme jusqu’à celles des Cahiers. Autant et plus qu’une vue sur la littérature, qu’une enquête sur les auteurs, la critique de Sainte-Beuve doit être tenue pour une enquête sur l’homme et sur les femmes, et sur lui-même, et sur les autres, et sur les natures d’esprits, et sur l’esprit de la nature humaine. Tout le contenu humain des lettres françaises aboutit à cet humanisme, comme le monde des sons, des mots et des rythmes aboutit à Victor Hugo. Le moraliste en Sainte-Beuve est encore supérieur au critique : celui-ci s’est souvent trompé, celui-là non.
De la critique des vivants, lui-même a dit, quand il était jeune, que c’était la partie la plus difficile et la plus noble du métier. Une partie, aussi, dans le sens de jeu. Comment a-t-il joué cette partie ?