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XVI
SAINTE-BEUVE
Les trois grands noms
du siècle
.
Il n’est pas exagéré de penser que Sainte-Beuve a passé dans la critique comme Victor Hugo dans la poésie, et comme Balzac dans le roman, qu’il y occupe la même place éminente, qu’il a apporté dans son secteur littéraire une révélation du même ordre. On remarquera que Hugo, Balzac, Sainte-Beuve, sont au XIXe siècle, les trois rayons de bibliothèque qui tiennent en masse, forment bloc, en files, dont le temps n’a encore que peu abattu. On s’en étonnera d’autant plus, en ce qui concerne Sainte-Beuve, que les quatre cinquièmes de son œuvre sont de la copie de journaliste, soit le plus momentané et le plus fragile des genres ; seul de tous les journalistes, il a duré.

C’est qu’il n’est journaliste que comme Molière était acteur, — mais critique comme Molière était auteur. Il a rempli une moitié du champ de la critique, comme Molière a rempli une moitié du champ du théâtre. De cette moitié il a possédé toute la technique. Il l’a vécue dans son relief, ses problèmes — et comme les autres parties de la critique, critique des vivants, critique dramatique, n’ont pas eu leur Sainte-Beuve, il est resté le prince incontesté de son genre. La critique littéraire est devenue le jardin de Sainte-Beuve, comme le Théâtre Français est la Maison de Molière.

Formation romantique.
Son pacte avec la durée commence de bonne heure. Il appartient a la puissante génération où la précocité est ordinaire. Il a fait sous les meilleurs maîtres de Paris des études françaises, latines et grecques singulièrement solides. À vingt-trois ans il publie un