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Française, sa Révolution d’Angleterre une introduction au régime de 1830. Ce n’est pas le cas de l’Histoire des Ducs, mais Barante, homme d’État doctrinaire, achèvera sa carrière d’historien par une Histoire de la Convention et une Histoire du Directoire, médiocres produits de vieillesse. Le saint-simonien Thierry a été amené à se faire l’historien de races opprimées par le même élan qui le poussait vers les réformateurs sociaux. Le niveau de base de l’histoire, à cette époque, c’est la Révolution Française, comme c’était pour Hérodote l’histoire de la guerre des Grecs et des Barbares. À cette histoire, la génération de 1820 est déléguée de manière particulière. C’est le cas de Mignet, de Thiers et de Michelet, l’historien d’Institut, l’historien homme d’État, l’historien professeur et prophète.
Mignet et Thiers.
Les deux amis d’Aix, Mignet et Thiers, étaient venus a la conquête de Paris sans autre idée préconçue que la volonté d’arriver. Avant la trentaine ils avaient écrit chacun une Histoire de la Révolution et toutes deux eurent du succès parce qu’ils la racontaient sans parti-pris, ce qui leur valut d’être traités de fatalistes, et parce que l’une des deux, celle de Mignet, resta pendant vingt ans le précis le meilleur et le plus sûr. Toutes deux sont aujourd’hui déclassées.

Il n’en va pas de même de l’Histoire du Consulat et de l’Empire que Thiers, éloigné du pouvoir, commença à publier en 1840, et qu’il mit près de vingt ans à écrire. Elle fut pendant un demi-siècle l’œuvre historique la plus célèbre de la France, le rayon indispensable de toute bibliothèque sérieuse, l’école des hommes d’État. Un soldat de Napoléon, le général de Pelleport, rédigeant au début du second Empire ses mémoires, écrivait : « L’un des grands regrets que je puisse éprouver aujourd’hui, c’est de penser qu’il me faudra peut-être mourir sans avoir lu dans Thiers l’histoire de notre immortelle campagne de Russie. Seul en effet, l’historien véritable et sérieux des armées de la Révolution et de l’Empire saura rapporter d’une manière complète et impartiale, et sans tomber dans le roman, cette grande phase de nos victoires et de nos revers. Que pouvons-nous raconter, nous autres acteurs partiels de ce long drame ? »