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auteurs et des acteurs républicains. Mais libre est une façon de parler : un Jean Sans Terre ne peut être représenté au Théâtre de la République, parce que le bon sans-culotte Santerre s’en trouverait offensé. Et le censeur du Directoire n’admet pas que, dans une pièce d’Hoffmann, le nom de Louis soit donné à un personnage vertueux. Malgré tout, le peuple va au drame, le besoin finit par créer l’organe, et dès 1798 Guilbert de Pixérécourt donne son premier mélodrame : Victor ou l’Enfant de la forêt. L’autorité s’en émeut : « Le grand principe de ne pas ensanglanter la scène, dit un arrêté du département, est absolument mis en oubli, et elle ne cesse pas d’offrir le tableau hideux du vol et de l’assassinat. Il est à craindre que la jeunesse, habituée à de telles représentations, ne s’enhardisse à les réaliser, et ne se livre à des désordres qui causeraient et sa perte et le désespoir des familles. » Le théâtre donne toujours du mal au gouvernement. Cependant le gaufrier de la tragédie traverse intact la tourmente. Il suffira que Napoléon protège l’outil et que Talma vende les gaufres : voilà le genre en sursis pour une génération.

Roman.
Le théâtre de la Révolution abondait au moins en quantité : un millier de pièces en dix ans. On n’en peut même dire autant du roman. Entre les Liaisons dangereuses et le début du XIXe siècle, l’interrègne littéraire est complet. Il est vrai que dans le monde infra-littéraire abondent et triomphent Ducray-Duminil et Pigault-Lebrun. Et hors de France, il y aura un roman de l’émigration : le genre de l’avenir a passé la frontière, avec le meilleur de la littérature.