Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/267

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
c’était qu’un prêtre, Saint-Cyran et Lamennais. Lamennais l’a montré en 1817 contre la société, en 1826 contre les évêques, an 1834 contre le pape. Il a fait voir ce qu’est un prêtre seul, un prêtre séparé, un prêtre sans Église. Et le plus grand service que lui doive l’Église, c’est précisément celui-ci, qu’il lui rendit pendant vingt ans, et que son exemple lui rend encore après sa mort : « Tremblez, disait Bossuet, au seul mot de séparation ».
L’Influence.
Quand Lamennais, Lacordaire et Montalembert se retrouvèrent ensemble sur les bancs des assemblées de la République, on vit cependant que les idées de l’Avenir avaient fructifié, et aujourd’hui encore la liberté d’enseignement reste sa conquête. Mais ce qui nous importe ici ce n’est pas la trace politique, c’est la trace littéraire qu’a pu laisser Lamennais.

Il en reste un souvenir, celui de la jeune et pure école de la Chesnaie. Il en reste surtout ceci, que de 1830 à 1835 la grande influence qui s’exerce sur la religion des romantiques est celle de Lamennais. Il entendit en confession Victor Hugo et, probablement, à Juilly, Sainte-Beuve qu’il voulait emmener à Rome avec lui. Volupté est écrit dans l’ombre de Lamennais, comme le Centaure dans l’ombre de Volupté, et dans cette ombre pousse aussi la première idée de Port-Royal. L’influence de Lamennais sur Lamartine est très vive à l’époque de Jocelyn, et après 1830 la religion de Lamartine ressemble en somme, dans le style jésuite, à ce qu’est dans un style sévère celle de Lamennais. Hugo pensera encore beaucoup à lui dans les Misérables. Leur évolution vers la gauche à tous, leur mort à gauche, sont celles de Lamennais. C’est peut-être en souvenir de son ancien confesseur et de son testament : « Je veux être enterré au milieu des pauvres et comme le sont les pauvres » que Victor Hugo a voulu son triomphe funéraire dans le corbillard des pauvres. Le prophétisme des Paroles d’un Croyant avait préfiguré les Châtiments. George Sand a écrit sinon sur Lamennais du moins autour de lui le roman de Spiridium, qui fit une forte impression sur Renan. Nous touchons à l’autre clerc breton.

Les deux plus grands écrivains qu’ait fournis au XIXe siècle la formation cléricale, Lamennais et Renan, ne sont pas