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singulière, et qui, utilisées par Quinet dans sa Révolution n’ont été publiées qu’à la fin du XIXe siècle. Ensuite les Mémoires que Mme Roland écrivit dans sa prison au moment où Condorcet écrivait dans sa cachette l’Esquisse. Ces deux livres de proscrits jetés l’un vers le passé, l’autre vers l’avenir, par la tempête contemporaine, suffiraient à sauver l’honneur de la littérature révolutionnaire.

Théâtre.
Le dédoublement que nous avons signalé de la littérature révolutionnaire en une littérature selon la tradition, qui se porte mal, et une littérature populaire qui ne porte pas loin, nous le retrouvons au théâtre.

La tragédie piétine obstinément dans le dégel du XVIIIe siècle. Pour être républicaines, les tragédies de Marie-Joseph Chénier n’en deviennent ni meilleures ni pires. Elles tiennent la place la plus honorable dans le cortège funèbre du genre.

La comédie s’accommode mieux de la médiocrité. En 1790, le Philinte de Molière de Fabre d’Églantine présente non sans habileté ni succès, Alceste sous la figure qui appartiendra plus tard au Jacobin vertueux, Philinte sous celle d’un monarchiste ou d’un aristocrate. C’est ainsi qu’en 1793 le Guillaume Tell de l’honnête Lemierre, tragédie vieille d’un quart de siècle, doit un nouveau triomphe à un sous-titre qui est une trouvaille : Guillaume Tell ou les sans-culottes suisses. Le Philinte s’était d’ailleurs trouvé encadré entre les deux succès de Collin d’Harleville, l’Optimiste en 1788 et le Vieux célibataire en 1793 ; Fabre engagea une polémique contre l’Optimiste et l’optimisme, en lequel il dénonça une doctrine contre-révolutionnaire, et de la contre-révolution à la guillotine il n’y avait alors qu’un pas. De la Révolution aussi, puisque Fabre le franchit.

Logiquement l’heure n’était ni à la comédie, ni à la tragédie, mais au drame, celui de la scène comme celui de la rue. D’abord Diderot et Mercier l’avaient préparé, lui avaient créé un style trépidant et haché d’exclamations et de « mouvements de la nature ». Ensuite la Comédie-Française avait succombé : le 2 septembre 1793, ses vingt-huit acteurs avaient été mis en prison pour avoir représenté une Paméla inféodée à Pitt et Cobourg, et la voie se trouvait donc libre pour des