celui de sa matérialité. Balzac le dit, et même l’excuse : « En me voyant amasser tant de faits et les peindre on a imaginé, bien à tort, que j’appartenais à l’école sensualiste et matérialiste, deux faces du même fait, le panthéisme. Mais peut-être pouvait-on, devait-on s’y tromper. »
Deux générations de critiques s’y sont en effet trompées. Le matérialisme de Balzac c’est un lieu commun de Sainte-Beuve, et le roman de bonne compagnie s’est épuisé à lui donner une contre-partie « idéaliste » ; la génération de 1850 a fait de Balzac le chef de file de la littérature sensualiste et « brutale » avec réprobation chez Weiss, avec admiration chez Taine. Les manuels de littérature ont gardé cette consigne. C’est un point de vue complètement épuisé. Brunetière déjà dans la seconde phase de ses opinions sur Balzac l’avait déclassé. On n’en trouverait aucun reste dans la critique contemporaine, de Curtius à Bellessort.
C’est que le monde de la Comédie est le plus vaste que l’art ait créé, et qu’il est difficile de tenir sous un seul regard, de comprendre sous nos idées du jour et de la nuit cet empire sur lequel le soleil ne se couche pas. Une fois reconnues les idées mères, celles qu’explique le don de spécialité, l’image la moins incomplète qu’on puisse donner de ce monde consisterait à regarder la vocation de Balzac comme une tentative de la nature, à moitié manquée comme toutes les tentatives de la nature, pour incarner en France un siècle, le XIXe. Comédie Humaine, oui, mais qui se manifeste dans les limites d’une Comédie Française et d’une Comédie Séculaire.
De cette vocation séculaire hérita Balzac. Un de ses romans de jeunesse, le Centenaire, est déposé en lui par ce génie de sa famille. L’héritier de ce centenaire, c’est le vieil antiquaire de la Peau de Chagrin. Et la Peau de Chagrin matérialise le dilemme de sa destinée : longue vie équilibrée et calme, ou courte vie consumée par la passion et le génie.