Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

César Birotteau, Balthazar Claës sont d’autres figures ou plutôt d’autres parties de Balzac. D’une manière générale un personnage de la Comédie Humaine est balzacien, dans ce sens personnel, lorsqu’il y figure comme témoin d’une volonté créatrice.

Le premier ouvrage écrit par Balzac, c’est, à l’âge de quatorze ans, un Traité de la Volonté qu’un de ses professeurs confisqua et détruisit. Il est remarquable que, chez les deux grands fondateurs et instituteurs de la littérature française, celui du théâtre et celui du roman, Corneille et Balzac, la critique reste en arrêt et en méditation devant un mystère et une mystique de la Volonté. Mais chez Corneille nous ne constatons qu’un résultat, une pointe éclatante dont la base et les origines demeurent dans l’ombre, tandis que chez Balzac, comme à l’intérieur d’une statue colossale, nous circulons du haut en bas d’une nature.

D’abord la nature du romancier. Balzac manquait absolument de facilité et d’improvisation, portait ses œuvres dans sa tête pendant des années, les écrivait avec des efforts et une tension prodigieuses, accumulant les plans, les essais, les brouillons, les épreuves refondues. Si la volonté tient une telle place dans son monde, c’est d’abord qu’elle en occupait une dans sa fabrication de ce monde. Il a tout vu dans cette volonté dont il était si riche comme les mystiques voient tout en Dieu, dont il sont pleins.

Ensuite et par conséquent la nature de l’œuvre. Dans le Médecin de Campagne, quand Genestas rencontre Benassis, il le regarde « habitué par les rapports qu’ils avait eus avec les hommes d’énergie que recherchait Napoléon, à distinguer les traits des personnes destinées aux grandes choses ». Voilà une notation extraordinaire, qui pourrait être de Stendhal parlant de Napoléon, mais il est bien plus beau qu’elle soit de Balzac reproduisant Napoléon et fidèle à la devise qu’il avait inscrite sur la statuette de l’empereur : « Ce qu’il a commencé par l’épée, je l’achèverai par la plume ». Comme Napoléon, Balzac a reconnu, recherché les êtres d’énergie destinés comme lui aux grandes choses. Il en a fait la grande Armée du roman.

Les personnages de Balzac ou tout au moins la plus notable partie d’entre eux, semblent faits avec des concentrations, des défaillances, des oppositions, des équilibres, de la volonté,