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lui met la palette et le ciseau en main, l’assure de sa technique, l’établit dans la peinture des milieux et dans la concurrence à l’état civil.

Entrée de l’état civil
et des femmes
.
Scott était un romancier historique. Il s’agissait maintenant d appliquer la technique et la chronique de Scott au roman contemporain, de substituer, dans la concurrence du romancier à l’état civil, le registre ouvert des naissances au registre fermé des décès. Et d’introduire le registre des mariages ou des femmes. « Obligé de se conformer aux idées d’un pays essentiellement hypocrite, Walter Scott a été faux, relativement à l’humanité, dans la peinture de la femme. » Il manque à son roman, avec la femme, la peinture des passions. Lacune que Balzac impute au protestantisme qui ne laisse rien de possible pour la femme après la faute. « La floraison du roman anglais au XIXe siècle nous conduit à nous douter que la cause est plus complexe. Il n’en demeure pas moins que d’un certain point de vue le roman de Balzac c’est l’entrée des femmes, et l’entrée vers les femmes.

Qu’il y ait eu au XVIIe siècle liaison entre le roman et les femmes-auteurs, — qu’au XVIIIe la Nouvelle Héloïse ait déclenché au cœur des femmes un enthousiasme et un attendrissement torrentiels, que l’amour partagé des sexes ait fourni le pain ordinaire du roman, rien de tout cela ne diminue l’originalité avec laquelle Balzac a introduit dans le roman le monde autonome des femmes, et dans le monde des femmes, le roman. Sainte-Beuve l’a constaté, et, en partie parce que Volupté avait laissé les femmes indifférentes, il ne l’a pas pardonné à Balzac.

Les romantiques lisaient des dictionnaires. Trois femmes bien plus âgées que Balzac et qui étaient la mémoire vivante, imaginative aussi, de la Révolution et de l’Empire, Mme de Berny et Laure d’Abrantès, plus tard Mme de Castries ont été pour lui les dictionnaires vivants, intelligents, tendres, perspicaces de leur temps. Sa recherche du temps perdu, sa présentation du temps actuel, l’exploration de la nature humaine se sont faites avec de nécessaires collaborations féminines. Comme la nature de Gœthe, la Comédie Humaine a ses « mères ». Mais surtout elle a un Père.