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XI
BALZAC
La nature sociale.
« La nature sociale, qui est une nature dans la nature » écrit Balzac dans Modeste Mignon. Cette phrase contient la découverte, le génie, le roman et la clef de Balzac.

Comme l’expose la lumineuse préface de 1842 à la Comédie Humaine, la matière de cette Comédie, soit la nature sociale, c’est la nature animale, plus quelque chose. « L’État Social a des hasards que ne se permet pas la Nature, car il est la Nature, plus la Société. » La dualité des sexes ne joue que peu ou point en histoire naturelle, elle joue profondément en matière sociale. La nature sociale comporte en triple réalité des hommes, des femmes et des choses, soit de l’outillage, meubles, maisons, villes, modifications de la planète par l’homme. Les historiens, dit Balzac, ne nous ont que peu ou point représenté cette nature sociale. Balzac cite comme exemples, et comme ses précurseurs, ce qu’a fait l’abbé Barthélémy pour les Grecs, et ce qu’a fait Alexis Monteil dans son Histoire des Français des divers États. Walter Scott incorpora au roman une histoire des Écossais des divers États, et, dit Balzac, élevant le roman à la valeur philosophique de l’histoire, y a réuni à la fois « le drame, le dialogue, le portrait, le paysage, la description, le merveilleux et le vrai, ces éléments de l’épopée». Dans l’ordre du roman, c’est le roman de Walter Scott qui a appelé à l’être le roman de Balzac. Balzac en effet ne devient lui-même, ne naît au Balzacisme, qu’après avoir mis en roman à la Scott le sujet le plus scottien de l’histoire de France, la guerre de l’Ouest sous la Révolution, avec le Dernier Chouan, qu’il s’en va écrire à Fougères même, dans son décor, en 1827, et qui