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II
ALFRED DE MUSSET

Le dialogue passionné que le premier tiers du XIXe siècle a institué entre l’esprit du XVIIIe et le romantisme s’est exprimé surtout dans la prose. Mais la poésie n’y a pas échappé. Alfred de Musset y est pris tout entier.

Comme Mérimée il est né dans la grande bourgeoisie parisienne. Son cœur et ses sens seront souvent dupes des femmes, son esprit ne sera jamais dupe des hommes. Il a les dons d’analyse et de lucidité.

Prince de la jeunesse.
De précocité aussi. Collégien brillant, ayant tout vu ou tout deviné dans le salon de ses parents, dans l’entourage de l’homme de lettres qu’était son père, il s’élance à vingt ans dans la poésie par les Contes d’Espagne et d’Italie, dont il ne faut pas médire même aujourd’hui. C’était, dans un temps de printemps sacré poétique, de la jeunesse qui allait à la jeunesse. Aucun livre ne répond mieux à l’idée d’un vin nouveau de la poésie, dans une année de la Comète, et d’un Bacchus nu dans la cuve. L’Espagne et l’Italie, du soleil, des mantilles, des yeux brûlants, des duègnes, des juges, de nobles têtes de vieillards, du sang sur le pré, des amants dans les lits, cette Espagne et cette Italie sont convoquées pour donner du degré à ce vin, faire voir ce qu’on va voir et boire ce qu’on va boire. Le bric-à-brac, les imitations, le négligé, les jeux de dislocation et d’enjambement, valurent à l’auteur les railleries de la critique. Mais du jour au lendemain les jeunes gens surent par cœur une demi-douzaine d’apostrophes, de tirades de feu, de tableaux truculents, de portraits de femmes à posséder — et à en mourir. Danseur de bals masqués en costume de page de