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Journaux.
Le peuple, lit. Il lit surtout des journaux. Les Journaux sont assurément la partie la plus vivante de la littérature révolutionnaire. Ils le sont dès les États Généraux de 1789, qui se réunissaient déjà portés par une curieuse littérature spontanée, celle des Cahiers, rédigés, dans les petites villes et les campagnes, par des procureurs, des maîtres d’école, des curés, et où les accents pittoresques et singuliers, sincères et poignants, ne manquent pas. À ces cahiers des mandants, répondent parfois les comptes-rendus des mandataires, comme les Lettres à mes Commettants de Mirabeau, qui sont du vrai journalisme. Et surtout, à Paris, l’opinion à défendre, le parti à soutenir, le relâchement, puis la disparition de la police des écrits, font crépiter de tous côtés une mitraille de feuilles ardentes, souvent pamphlets périodiques, à un ou deux rédacteurs, qui paraissent irrégulièrement.

Le meilleur et en tout cas le plus célèbre des journaux de 1789 a 1791, ce sont les Actes des Apôtres, de Peltier, Rivarol, Champcenetz, Mirabeau le jeune, Suleau, pamphlet conservateur, qui s adresse surtout à la bonne compagnie, ou à ce qui en reste : d’où une littérature plus fine. La lecture en est cependant devenue assez décevante. Nous comprenons mal tant de sous-entendus et d’allusions à des personnages oubliés. Nous entendons beaucoup mieux l’Ami du Peuple de Marat qui commence à paraître en septembre 1789, et les Révolutions de France et de Brabant que Camille Desmoulins publie à partir de novembre 1789. Mais c’est en 1793 surtout, avec le Vieux Cordelier, que se révèle le puissant talent de Desmoulins. Les numéros qui précédèrent immédiatement sa mort passent avec raison pour le chef-d’œuvre du journalisme de la révolution, parce qu’alors il se bat dangereusement. C’est également à l’énergie de ses convictions, à la fièvre de ses haines, à son contact direct avec les passions de la rue, que l’Ami du Peuple doit la vie qui éclate encore dans celles de ses pages dont nous conservons le fil conducteur. Il voisine dans la littérature populaire avec le Père Duchêne d’Hébert. Hébert a un vrai tempérament : de journaliste, il a créé un style populaire et puissant d’une verve et d’une verdeur singulières, que les Goncourt admiraient, et dont Jaurès,