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Lamiel.
L’énergie de Julien ne va pas sans une violence de tempérament, une intensité de chauffe, qui le conduit à l’échafaud. Dans le roman ébauché et inachevé de Lamiel, Stendhal s’est amusé (car c’est un amusement, et il y a là des parties de roman gai, à la Paul de Kock) à imaginer une sorte de Julien Sorel femme, populaire, décidée, énergique elle aussi, qui ne monte pas sur l’échafaud, mais qui ne peut trouver que dans un forçat un amant selon sa nature. Lamiel tient, de l’autre côté du Rouge, une place inverse et symétrique de celle d’Armance : Octave de Malivert, ou le défaut d’énergie, qui féminise un homme, — Lamiel, ou l’excès d’énergie, qui masculinise une femme. On comprend d’ailleurs qu’entre ces paradoxes d’un romancier intelligent, la réussite ait été, dans le triptyque, pour le volet du milieu, pour cette peinture pleine, puissante, normale, de l’énergie d’un homme, d’un pays, d’une époque, qu’est le Rouge et le Noir, l’œuvre immense que son temps ne comprit pas, qui ne trouva son public et ses échos que vingt ans après, et dont la vivante influence n’est pas encore épuisée.