Mais le si de « Si je m’étais présenté à Polytechnique », « Si j’étais riche » c’est, pour un homme qui a ses vingt ans sous le Consulat, soit sous le régime de la carrière ouverte aux talents, un si superficiel, un si commandé lui-même par un si plus profond, celui-ci : Si je voulais vraiment, si j’avais eu, si j’avais de l’énergie ! La présence, le degré ou l’absence de l’énergie, voilà ce qui fait une destinée. Le jeu comporte une direction, ou un dessous des cartes, qui est l’énergie. Et voilà pourquoi Stendhal devait naturellement trouver son grand sujet et sa grande œuvre dans le roman de l’énergie, le Rouge et le Noir.
Il y a, pour Stendhal, un journal officiel de l’énergie, qui est la Gazette des Tribunaux. Pendant toute une génération, depuis le Rouge et le Noir jusqu’aux Misérables, en passant par le Vautrin de Balzac, les tribunaux, les prisons, les bagnes, les échafauds offriront aux romanciers des exemples de l’énergie humaine. En lisant la Gazette, Stendhal a été frappé par l’histoire d’un de ses compatriotes dauphinois, le séminariste Berthet, condamné à mort et exécuté pour avoir tiré un coup de pistolet sur une dame de la haute bourgeoisie, dans la maison de qui il avait été précepteur. Il lui a paru que Berthet exprimait admirablement l’énergie d’un jeune homme ardent, exigeant et pauvre dans la société de la Restauration, en ces années explosives de 1829 et de 1830. Stendhal venait décrire avec Armance le roman de l’absence d’énergie, et d’abord de l’énergie virile, chez un descendant délicat et fin des grandes familles, un épigone, un héritier. Le Rouge et le Noir, la peinture de l’énergie, le caractère de Julien, voilà le pendant et l’antithèse d’Armance. Le Blanc et le Bleu (bleu au sens des guerres républicaines) ferait un titre commun aux deux romans. Et nous dirions aujourd’hui l’héritier et le boursier.