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au théâtre la place d’un classique. Elles y rendent exactement et purement le son de ce que les classiques appelaient le cœur humain. La meilleure pièce que Victor Hugo ait faite après sa retraite, la seule qu’il détachera de son Théâtre en liberté pour la publier de son vivant, ce sont les Deux Trouvailles de Gallus où il paraît avoir voulu refaire On ne badine pas avec l’Amour. Or malgré toute la poésie, l’éclat et l’esprit dont elles débordent, les Deux Trouvailles ont complètement échoué quand la Comédie-Française a voulu les représenter. La comparaison des pièces de Hugo et de Musset, dont aucune n’était faite pour la scène, et de leurs deux fortunes sur la scène, nous instruit excellemment de ce qui est viable ou non au théâtre.

Le Juste-Milieu.
Hugo, Dumas, Vigny et Musset ne partagent pas avec un cinquième nom l’honneur d’avoir tenté la grande aventure shakespearienne du romantisme. Aventure, il faut garder tout le sel et la substance de ce mot pour honorer l’audace et l’extrémisme d’Hernani, de la Tour de Nesle, de Chatterton et de Lorenzaccio. Mais il n’y a pas non plus d’époques dramatiques sans faiseurs de pièces honorables et intelligents, qui ont la vocation du juste-milieu comme d’autres ont celles de l’aventure, et il eût été particulièrement inique que le Juste-Milieu de Juillet en eût été privé.

Le Juste-Milieu au théâtre s’appelle Casimir Delavigne. Il touche à tous les genres, sinon avec invention, du moins avec adresse, avec le flair des sujets et des moyens. Louis XI (1832) et les Enfants d’Edouard (1833) furent deux triomphes qui s’expliquent, le premier par l’existence d’un caractère et d’un rôle, le second par le thème des Deux Orphelins, et la réunion de ce fonds de mélodrame à un bon fond historique. Delavigne n’est pas un sot, et il sait, quand il le faut, apporter quelques scènes maîtresses, quelques répliques qui font battre quatre mille mains, au secours de son ordinaire qui est la convention tenace, la langue délavée et la versification mitée.

Fin du rêve
d’un grand empire
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Il en va donc du drame romantique comme de la cathédrale idéale qui devait avoir disait-on, les clochers de Chartres, la façade de Reims, la nef d’Amiens et le chœur de Beauvais. Ici le vers de Hugo, la facture de Dumas, l’huma-