Les invraisemblances de Ruy Blas ne l’empêchent pas d’être plein de mouvement et d’idées dramatiques, et son IVe acte a créé pour un demi-siècle tout un style de la comédie en vers. Les Burgraves sont comme Hernani une grande date : celle où le public, qui attend depuis quinze ans le Shakespeare promis, prend acte de son absence sous cette armure surhumaine d’airain, de pierre, d’antiquité qui descendit, à grand bruit de vers éclatants, sur la scène du Théâtre-Français en février 1843, comme celle d’Eviradnus, mais qui ne vainquit pas, laissa le trône à une sagesse pratique et vulgaire, et rentra, comme Barberousse, aux solitudes. Le torrent de la poésie déchaîné dans Hernani s’agrandit ici à la mesure du Rhin, le son du cor devient celui d’une immense ballade germanique qui se résout en figures sans commune mesure avec la nature du théâtre. Les Burgraves, qu’on n’a jamais pu ranimer sur la scène, fût-ce celle d’Orange, tiennent dans le monde du Théâtre-Français une place monumentale. C’est un cénotaphe à la ressemblance des tombeaux de Charlemagne et de Napoléon, la cuve de porphyre où il n’y a rien que cette idée possible d’un Shakespeare romantique français, l’un de ces autels de pierre que fit élever Alexandre quand il fallut reculer et que la conquête de l’Inde lui fut refusée par ses soldats, c’est le Moscou de la grande armée du drame, l’acte enfin de démesure napoléonienne le plus authentique de Victor Hugo. Un peu plus, et l’on penserait au Nemrod de la Fin de Satan.
Les morceaux du Shakespeare brisé ne sont pas du tout épuisés avec Dumas et Hugo. Vigny et Musset y ont leur part.