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encore dans la décisive préface : « Rien de plus divers en apparence que ses poèmes, au fond rien de plus un et de plus cohérent. Son œuvre, prise dans sa synthèse, ressemblerait à la terre ; des productions de toutes sortes, une idée première pour toutes les conceptions, des fleurs de toutes espèces, une même sève pour toutes les racines. »
L’Interrègne poétique.
On sait comment la sève parut tarir entre 1843 et 1851. La chute des Burgraves, la mort de Léopoldine, l’option pour une carrière politique, raréfient la veine lyrique pendant huit ans, au cours desquels il n’y a guère qu’une reprise poétique, l’automne de 1846, où le poète écrit les pièces de Pauca Meae, ainsi qu’Aymerillot et le Mariage de Roland.

En novembre 1849, sortant d’une séance de l’Assemblée, c’est sous le titre et dans le tutoiement À Olympio qu’il note :

Parmi ces hommes fous et vainement sonores,
Grave, triste, et rempli de l’avenir lointain,
Tu caches ou tu dis les choses du destin ;
Car le ciel rayonnant te fit naître, ô poète,
De l’Apollon chanteur et de l’Isis muette.

Admirables personnifications, comme celle de Proserpine dans les Contemplations ! Entre cet Apollon du poète et cette Isis du penseur, auxquels l’exil donnera leur structure et leur profondeur, il y a un hiatus, il y a l’absence d’un médiateur, d’un liant, d’un troisième terme, de ce qui eût fait à l’Assemblée l’orateur, dans le lyrisme familier le Lamartine, au théâtre le Dumas : l’absence de la Vénus charmeuse et du Mercure insinuant. Mais quel Apollon que celui de la Légende, quelle Isis que celle de Dieu !

Les Contemplations.
Les dix mille vers des Contemplations équilibrent dans I’œuvre lyrique de Hugo les dix mille vers des quatre recueils 1830-1840. C’est à elles qu’on accorde généralement le haut du pavé, mais cette supériorité pourrait se discuter, et la tétrade des années trente, après tout, les vaut poétiquement. Leur place unique vient de leur fonction de Journal ou de Mémoires poétiques, répartis sur près d’un quart de siècle. Sous leur forme brisée, elles correspondent à des Mémoires d’outre-tombe ou à