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de celui dont une pièce a popularisé le nom d’Olympio, dont le titre lui aussi indique un thème de dialogue inégal entre le passé et l’avenir : les Rayons et les Ombres. Ce portrait du poète idéal, tracé dans cette préface, le 28 avril 1840, c’est déjà le portrait même de l’auteur des Contemplations, le portrait du poète de Guernesey.

« Il aurait le culte de la conscience comme Juvénal, lequel sentait jour et nuit un témoin en lui-même, le culte de la pensée comme Dante qui nomme les damnés ceux qui ne pensent plus, le culte de la pensée comme Saint-Augustin, qui, sans crainte d’être appelé panthéiste, appelle le ciel « une créature intelligente. » Juvénal et Dante sont de ces pré-Hugo qui se réincarneront dans l’exil de 1851, et dans William Shakespeare. Saint-Augustin est désigné ici comme un génie précurseur du théologien de la Bouche d’Ombre et de Dieu. Ce poète composé de Juvénal, de Dante et de Saint-Augustin, quelle sera sa mission poétique ? La trilogie épique de Guernesey. « Ce que ferait ainsi dans l’ensemble de son œuvre, avec tous ses drames, avec toutes ses poésies, avec toutes ses pensées amoncelées, ce poète, ce philosophe, cet esprit, ce serait, disons-le ici, la grande épopée mystérieuse dont nous avons tous un chant en nous-mêmes, dont Milton a écrit le prologue et Byron l’épilogue : le Poème de l’Homme. »

Les Rayons et les Ombres.
Les Rayons et les Ombres donnent leur ouverture musicale à ces Contemplations d’Olympio, dont le destin alors inconnu exigeait la complicité de la solitude et de l’exil. La pièce liminaire des Rayons, Fonction du Poète, ce sont les Mages moins la joaillerie des noms propres, la deuxième, le Sept Août 1829, c’est le dialogue éternel des deux majestés, le roi et le poète. Même dans la troisième, Regard jeté dans une Mansarde, le poème populaire et sentimental monte sur le trépied : voilà la guerre de Hugo à Voltaire, du siècle prophète au siècle critique, de l’homme de Dieu à l’homme du diable. Il y a par ailleurs un peu de remplissage, préposé au rôle d’Ombres, et même les fameuses Guitares, mais tel qu’il est et dans sa variété même, le recueil paraît celui des quatre qui, plus près des Contemplations, leur ressemble le plus, fait le mieux sentir l’unité profonde du poète, telle qu’il l’exprime