Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/162

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
que sais-je ? Les quatre jours d’Elciis tonnèrent et étonnèrent comme des jours de la création. Grandeur et limite.

Quand Lamartine demandait que le tombeau de Napoléon portât ces trois mots : À Napoléon seul ! il marquait la différence qu’il y a entre un génie qui est seul et un génie qui n’est pas seul. Il n’existe pas plus de Lamartine seul que de Louis XIV seul. Mais il y a Hugo seul. Il y a Hugo qui parle seul, et devant lequel une partie de la postérité est prise de la même inquiétude ironique qui entoure dans la rue le passant qui se parle haut à lui-même. Quand Hugo va à l’absurde, c’est par le chemin ou nous y allons tous quand nous parlons seuls, quand nous sommes seuls, quand cessent de fonctionner nos réducteurs et nos accommodateurs sociaux. Son monologue parmi les vivants ressemble alors à son monologue parmi les morts quand parlent pour lui, quand parlent en lui, les tables tournantes de Jersey. Cette souveraineté du monologue est d’autant plus frappante qu’elle est juxtaposée sans s’y mêler à une personnalité commune et dialoguante, celle d’un homme d’esprit, d’un homme du monde parfait, d’un causeur charmant, d’un ami attentif et généreux, d’un fils admirable, d’un père affectueux, d’un amant aussi délicat que tendre. D’autant plus frappante aussi, et plus originale, que le monologue hugolien, qui est bien le monologue du théâtre, c’est le monologue pour autrui, le monologue qui suppose autour du parleur l’élément, l’aliment et l’aimant d’une foule, des foules, des peuples, des êtres, des vivants et des morts, de Dieu. Alors, quand Hugo écrit Choses vues pour lui seul, non pour un théâtre, et sans l’interposition d’Olympio, quand il est Hugo seul pour lui et non Hugo seul pour les autres, quand donc son monologue est pur, nous le voyons aussi lucide, aussi clairvoyant, aussi fin que lorsqu’il cause en 1830 avec Sainte-Beuve, à l’Académie avec Cousin ou Royer-Collard, à Guernesey avec le jeune Stapfer. Ceci c’est l’homme qu’il est, ce n’est pas le génie qui l’habite, Olympio, le génie tantôt supérieur, tantôt inférieur à l’homme, qui ne relève pas des mêmes mesures, et qui s’arrange de lui comme il peut.

Or aucune littérature n’est plus sociable, plus sociale, que la littérature française, n’a mieux qu’elle lié partie avec l’es-