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l’équivalent, le pendant, la suite de ce qu’avait été sept ans plut tôt la chute des Burgraves, qui l’avait exilé du théâtre. Aussi injustement peut-être. Les Burgraves sont une grande œuvre originale, et la République, qui avait eu en Lamartine un grand ministre des Affaires étrangères, pouvait et devait faire l’essai de Victor Hugo à l’Instruction publique. Mais enfin Hugo eût été un ministre théâtral, ainsi qu’il avait été un pair et un député théâtral.. Comme on faisait du bruit pendant un de ses discours, un de ses collègues dit : « Laissez-le jouer sa pièce ! » Telle était bien l’impression commune.

Pièce n’est pourtant pas très exact. Le théâtre consiste dans le dialogue. Et Hugo, au théâtre comme à la ville, est l’homme du monologue, de la tirade, de l’interpellation, de la fusée lyrique où l’on est seul, où l’autre est muet, ou se borne au Mais…, vite écrasé, du mort au whist. Les apostrophes de Milton, de Saint-Vallier, de Ruy Blas, le monologue de Charles-Quint, les Quatre Jours d’Elciis, le Satyre devant l’assemblée des Dieux, ou l’Homme qui Rit devant celle des pairs d’Angleterre, voilà l’attitude à laquelle le ramène invinciblement son mouvement naturel. C’est le Delmar de l’Éducation sentimentale. « Brasseur anglais, il invectivait Charles Ier ; étudiant de Salamanque maudissait Philippe II ; ou, père sensible, s’indignait contre la Pompadour, c’était le plus beau ! Les gamins, pour le voir, l’attendaient à la porte des coulisses. On disait : Nôtre Delmar. Il avait une mission, il devenait Christ. »

Le génie trouve évidemment à devenir dieu plus de difficulté que le cabot. Hugo y est presque arrivé, cependant, en 1885, et, comme disait Royer-Collard de M. Pasquier quand il fut fait duc, cela ne le diminue pas.

Le monologue d’Olympio.
La vocation et la contrainte du monologue donnent déjà à un homme, donnent au poète, figure d’exilé et d’insulaire. En le condamnant à un monologue de dix-huit ans dans une île, Napoléon III accomplit cette vocation, conféra à Victor Hugo un majorat d’une autre portée que celui que son oncle Joseph avait donné à Léopold Hugo en le faisant comte de Siguenza. Il éleva à la deuxième puissance son génie poétique : le monologue qui n’était que comte devint duc, prince, burgrave, empereur,