La Bouteille à la Mer et l’Esprit pur reprennent cette strophe de sept vers de la Maison du Berger qui fait la plus belle et l’originale réussite lyrique de Vigny. La Bouteille à la Mer est le poème de l’entreprise humaine en tant qu’elle s’attache à ce qu’il y a de plus immatériel et qu’elle vit et meurt pour les idées. L’idéalisme de Vigny, ne prenons pas cela pour un mot conventionnel. Il ne ressemble pas à celui des poètes, mais à celui du philosophe. La vingt-sixième et dernière strophe de la Bouteille à la Mer commence par ce vers :
Le vrai Dieu, le Dieu fort est le Dieu des idées
Le recueil des Poésies, l’œuvre et la vie d’Alfred de Vigny sont tendus par la dialectique héroïque grâce à laquelle cet ennemi d’un Dieu donné, d’un Dieu non cherché, ni voulu, parvient à la notion platonicienne d’un Dieu vrai et fort, lieu des idées, comme l’espace est le lieu des corps. Le Poète de l’Esprit pur est l’homme des idées et mieux encore le Chevalier des idées. Les idées de Vigny gardent la marque de l’outil intérieur et de la tension triste qui les créèrent. Mais sa vocation était de les créer en poète, de porter des mythes comme le « fablier » La Fontaine portait des fables. Il en a ébauché encore beaucoup d’admirables dans le Journal d’un Poète, qui contient tout un carton de dessins, de poèmes. Malheureusement ce qu’on nomme l’inspiration était chez lui précaire, l’ardeur juvénile à fondre un morceau en un seul jet s’affaiblit de bonne heure. Les circonstances de la vie et le goût du silence firent le reste.