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où aboutit le sensualisme du XVIIIe siècle, chez le marquis de Sade lui-même dont les œuvres, lues à vingt ans chez son ami Guichard de Bienassis, terrifièrent les deux jeunes gens.

Évidemment, il ne faut pas demander à la Chute d’un Ange ce qu’on trouve en Jocelyn, de l’humanité actuelle et des caractères. Les êtres n’y vivent que symboliquement. Mais le style poétique est généralement, quoiqu’on en dise, d’une fermeté plus constante que celui de Jocelyn. C’est un style de poète orateur. Depuis quatre ans Lamartine s’est rendu à la Chambre maître de l’art de la parole. Cela se reconnaît dans sa poésie.

Les Recueillements
et les Psaumes
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Et non seulement dans l’épopée, que malheureusement il arrête là, mais dans une poésie lyrique qui, plus rare qu’autrefois, gagne en nombre, en poumons, en poids et qui enfle sa houle dans les poèmes des Recueillements, écrits après 1830. Le Cantique sur la mort de la duchesse de Broglie donne au tombeau d’Albertine de Staël les mêmes consécrations que Bossuet apportait à celui d’Henriette d’Angleterre. Les odes à Wasp, à Guillemardet, l’hommage À l’Académie de Marseille, Gethsémani ouvrent aux nappes politiques la maison idéalisée de la famille et des parents. Les chefs-d’œuvre lyriques de Lamartine ce sont alors les grandes odes politiques. À Némésis, le Toast des Gallois et des Bretons, Utopie, les Révolutions, La Marseillaise de la Paix : drapeau en plein ciel de son éloquence de tribune.

La poésie lyrique avait toujours répondu chez Lamartine à un état de grâce précaire. Il songea longtemps qu’après les Méditations, œuvre de son printemps, les Harmonies, œuvre de son été, il trouverait les sources lyriques de son automne dans des Psaumes, soit dialogues de l’âme et de Dieu, plus près de la Bible que ceux que Victor Hugo entretiendra plusieurs années à Guernesey, mais, comme ceux-ci, testament d’une pensée qui fut toujours religieuse. Les travaux forcés de la copie, l’automatisme de la prose, l’en empêchèrent, sauf un jour de ses vendanges de Milly, en 1857, où devant la maison de son enfance, inhabitée depuis des années, il écrivit la Vigne et la Maison, Psaumes de l’Âme, la dernière grappe tiède et dorée, à la treille défeuillée. Aucun poète n’a écrit de pareils vers à soixante-sept ans. Ils valent le Crucifix. Il suffit