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poète chante pour chanter. Une inépuisable nature, debout à son côté, lui fournit motifs et tableaux. Il cristallise une de ces heures de santé, de richesse, où la vie remplit le poète jusqu’aux bords, le fait bouillonner dans l’ivresse de se répandre. Moins le son de la lyre, que la lyre même, qui nous est tendue pour que nous la touchions et caressions. À l’extrémité opposée, le chef-d’œuvre des Nouvelles Méditations : le Crucifix. Bien, plus vaguement religieux que précisément chrétien, Lamartine a cependant atteint ici le point suprême de la poésie chrétienne, il l’a atteint devant la Croix et par la Croix. Cela va très loin au delà de l’Immortalité et de la Mort de Socrate. Le Crucifix qui passe d’un mourant à un autre, tradition du Christ à l’humanité, le crucifix de la mort d’Elvire, crucifix futur de la mort du poète, passage du cœur au cœur qui est la vie des àmes comme le passage du germe au germe est la vie des corps, le Crucifix monte en bulle de musique pure ; fait de rien, il contient tout.
Le Dernier Chant du
Pèlerinage d’Harold
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Le Crucifix, pendant chrétien du Lac, est ici un rappel des premières Méditations. Mais le climat italien de la poésie lamartinienne, qui s’étale dans les Préludes comporte en général une force, une vitalité, un désir de vie active, où continue naturellement à prendre place cette destinée de Byron, qui hantait Lamartine (un des derniers ouvrages de sa vieillesse fut une Vie de Byron) et que ce poète de la famille maintient toujours dans ses lointains et ses possibilités. En vacances à Saint-Point, avant de retourner en Toscane, il écrit le Dernier Chant du Pèlerinage d’Harold, hommage à Byron par un candidat à sa succession lyrique et historique. Du Chant du Sacre (celui de Charles X à Reims en 1826) d’ailleurs curieux, Lamartine dira que c’est son Poème de Fontenoy. Le Dernier Chant serait un peu sa Henriade, éloquente et artificielle. Mais ces poèmes prennent sur sa route une valeur singulière d’indicateurs : le Dernier Chant marque déjà son idée d’une carrière européenne de poète prophète et de lyre dictatrice, le Chant du Sacre le brouille avec le futur Louis-Philippe dont il insulte, en ce poème officiel, la famille avec une légèreté aussi insouciante qu’il insultait dans le Dernier Chant l’Italie où il représentait son roi. Après les