Page:Thibaudet – Histoire de la littérature française.pdf/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Lamartine et Vigny (ils épousèrent tous deux des Anglaises) n’ont eu qu’à cueillir comme des fruits murs dans les salons de la Restauration. Byron restera remarquablement étranger à Hugo. Mais les Méditations de 1820 ne se comprennent pas plus sans le Byron de 1820, dieu des salons, des femmes et des jeunes gens, que le théâtre romantique sans Shakespeare.

La voix du temps, la voix des femmes, la voix des salons disaient : « Il nous faut un Génie du Christianisme en poésie ». Elles disaient aussi : « Ah ! si Byron était chrétien ! il nous faudrait un Byron chrétien ». L’ordre des Méditations a été très soigneusement établi. Ce n’est pas un hasard si l’Homme, soit l’Épître à lord Byron, y succède immédiatement à l’Isolement, à la grande vue solitaire d’horizon. Lamartine imagine dans l’Homme ce Byron français, repenti et chrétien appelé par les Salons. On sait que le vrai Byron en sourit.

Autant que les Harmonies, les Méditations poétiques auraient pu porter l’épithète et religieuses, Elles vont à un public religieux, et elles contiennent toutes les directions religieuses du lyrisme et de l’épopée lamartiniennes. C’est le thème de l’ange tombé qui anime toute la pièce À Byron. Dans les grands discours de l’Immortalité, la Foi, la Prière, le Temple, Dieu, Lamartine (qui avait perdu depuis longtemps la foi positive) parait écrire pour un public autant que pour lui, et l’on ne s’étonnera pas que la Poésie Sacrée, la dernière Méditation, dithyrambe à M. Eugène Genoude, soit froideur et pensum. La note religieuse vivante et précise des Méditations n’est nulle part mieux donnée que dans le beau poème de la Semaine Sainte, où l’on ne trouve rien de l’émotion rituelle et chrétienne d’une semaine sainte, mais un tableau délicat et très vrai de ces retraites où M. de Rohan, le futur cardinal, conviait les jeunes conservateurs de sa génération, dans son château de la Roche-Guyon, et où l’exquise chapelle dans la grotte parait l’oratoire fait sur mesure pour le Génie du Christianisme et les dévotes de M. de Chateaubriand.

La Mort de Socrate.
On dirait qu’avec la Mort de Socrate Lamartine a installé dans la prison du philosophe un oratoire à la manière de celui de la Roche-Guyon, les mollesses du style jésuite autour d’un Socrate ténor italien. Voyons-y le premier exemple de ces poèmes en