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dans la poésie française, avec les Méditations, une découverte de l’amour, pareille à celle que font le jeune homme et la jeune fille, puisque les seuls beaux vers du lyrisme amoureux, ceux de Ronsard ou de Maynard, dataient de trois siècles, étaient oubliés.
Les Méditations.
À cette durée de 1820, une durée séculaire a-t-elle, depuis, répondu exactement ? Les Méditations peuvent-elles rester pour nous ce qu’elles étaient pour les contemporains ? Rappelons d’abord qu’il faut entendre par Méditations non le recueil arbitrairement bouleversé, et grossi de médiocrités et de fonds de tiroir, que Lamartine a dans la suite fourni aux libraires, et dont on réimprime toujours le dernier état, mais les vingt-quatre pièces du volume primitif. Dans un exemplaire des Méditations où il avait intercalé des fiches, et qu’on put lire à sa vente, Paul Souday donne des notes et des appréciations sur ces vingt-quatre pièces. La moitié sont exécutées par la guillotine de ce mot péremptoire : barbe ! Le verdict de l’aristarque coïncide ici avec le sentiment moyen du lecteur parisien d’aujourd’hui. Mais le goût moyen n’est pas tout à fait le goût.

Reconnaissons d’abord que sur les vingt-quatre pièces il n’en est que quatre qui réalisent encore pour nous, avec une pureté intacte, cette note de poésie pure, ce son, comme écrit Lamartine lui-même dans une lettre intime, « pur comme l’art, triste comme la mort, doux comme le velours » qui lie le sens lamartinien de Méditations à un sens musical (celui du mot dans les programmes de concert) et qu’évoque, dès qu’on le prononce, dans le souvenir de tous, le titre célèbre : ce sont l’Isolement, le Vallon, le Lac de B… (devenu plus tard le Lac tout court) et l’Automne, quatre thèmes en stances pour l’amour et la solitude. C’est la fine pointe sous laquelle une poésie moins pure fait poids et nombre. Lamartine, qui a généralement été un juge de sa poésie plutôt partial contre lui, a toujours distingué dans son œuvre poétique la qualité exquise et la quantité nécessaire. Il a toujours tenu la poésie vraie, la « poésie même » comme un état précaire de grâce qu’il est téméraire de consolider en habitude.

Du côté inverse, rejetons les pièces insignifiantes sur lesquelles on est tenté de laisser le signe brutal de Souday ; le