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qui donne comme titre à un morceau d’Obermann : de l’expression romantique et du ranz des vaches.

Mais les deux termes ne parviennent à la grande existence littéraire que le jour où il deviennent adversaires. Ils se posent en s’opposant. Cette opposition est un « message » de l’Allemagne, du réveil allemand. En 1814, Adolphe de Custine écrit d’Allemagne à sa mère : « Les dénominations de romantiques et de classiques, que les Allemands ont créées depuis plusieurs années, servent à désigner deux partis qui bientôt diviseront le genre humain, comme jadis les Guelfes et les Gibelins ».

Résistance et mouvement.
Les définitions du romantique sont naturellement, dans le premier tiers du XIXe siècle, plus nombreuses et plus complètes que celles du classique. Le Globe, excellent témoin de l’intelligence de cette époque, en propose successivement, sous la plume de ses rédacteurs, une douzaine. La plus simple, la plus modérée, la plus vraie et la plus souple est probablement celle que développe Stendhal quand il voit, dans le romantisme contemporain le droit et le devoir littéraires d’une génération d’exprimer une sensibilité nouvelle par une forme d’art nouvelle, et dans le classique un ensemble de consignes qui entendent imposer à la sensibilité actuelle des formes d’art dictées par la sensibilité de générations anciennes. La politique nommera ces deux tendances en 1830, quand elle opposera le parti de la résistance et le parti du mouvement. Le romantisme aussi est un parti du mouvement. Il y a un dynamisme romantique, il n’y a pas un dynamisme classique. L’art classique, au théâtre et dans la poésie, c’est-à-dire dans les genres qui dépendent de la sensibilité d’une époque, conserve, reproduit, ne crée plus ou crée au compte-goutte et avec une mauvaise conscience. Il occupe des positions héritées. Il est défendeur. Il allègue comme Jean Lapin la coutume et l’usage. Le romantique est demandeur, entend le déloger, et le déloge. D’abord par l’effet d’une force naturelle, parce que le romantisme est la jeunesse, — ensuite parce qu’il est allié aux trois ennemis naturels du classique, du classique français, du classique des « genres communs », du classique de la bonne compagnie,