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et comme d’un privilège de celui qui a appris des Grecs à écrire, et comme d’un plaisir délicat d’humaniste érudit.

L’Héritier.
Chez l’auteur des Pamphlets, le Français, le propriétaire et l’humaniste collaborent en un style unique. C’est un style d’héritier. Héritier jaloux d’une belle fortune, Courier est l’héritier non moins jaloux d’un patrimoine littéraire, où il occupe deux domaines, les oliviers d’Attique et les jardins de Touraine ; plus précisément, il entend continuer, représenter la double tradition de Xénophon et de Lysias, du Pascal des Petites Lettres et de Mme de Sévigné. Il ne produit pas, mais il hérite : c’est un Grimod de la Reynière ou un Brillat-Savarin du style. Il ne cherche pas dans l’héritage littéraire le grand, le poétique, l’universel, comme cet autre maître du style héritier, M. de Chateaubriand, mais le rare et l’exquis. Styliste, il se comporte en jardinier et en vigneron français.

Le style d’héritier il l’applique à la défense de son héritage, je veux dire de l’héritage de sa classe, bourgeoisie moyenne. Propriétaire moyen, il se retourne dans son lit pour haïr sur l’un de ses flancs le grand propriétaire noble, sur l’autre flanc le braconnier. Vis à vis de ses voisins et de ses domestiques, Courier se comporte en mauvais « gros » (et cela c’est sa vie privée, qui ne laisse pas de trace dans sa littérature). Mais vis à vis des « gros » officiels, cet électeur censitaire prend le masque du vigneron de la Chavonnière, c’est-à-dire d’un faux « petit », et même du vigneron de la vigne de Naboth. Sa littérature politique, bien plus que celle de Chateaubriand, s’avance sous un masque. Larvatus prodeo.

Le Bouilleur de Cru.
L’auteur du Pamphlet des des Pamphlets se réclame des Provinciales et son dialogue avec M. Arthur Bertrand imite même assez laborieusement celui de Pascal avec le bon Père. Il y a cependant une différence, autre que celle de l’originalité ; c’est que les Provinciales traitent d’immenses intérêts spirituels, tandis que les Pamphlets ne traitent même pas d’intérêts politiques moyens, de ceux-là dont s’occupaient à la Chambre Royer-Collard ou dans la presse Constant. Courier a le secret de prendre toutes les questions par leur bout le plus exigu : c’est bien la France vue de Véretz, les affaires de Courier avec le maire