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Longtemps Dingley rêva, ce soir, appuyé au balcon de son appartement.

Les Bergers étaient domptés. Les colonnes éparses allaient se réunir, et le pont de steamers, jeté entre les estuaires de la Manche et les mers australes, résonnerait bientôt du retour des armées. Sur le Veld s’éteignaient les derniers feux. Trois cent mille hommes étaient partis là-bas. Combien engraissaient à cette heure ces territoires infertiles ! Les plus nobles demeures d’Angleterre étaient aujourd’hui pareilles à ces maisons égyptiennes au-dessus desquelles l’Ange destructeur avait passé, les marquant toutes d’une croix. Mais quoi ! l’Empire n’était pas l’œuvre des Saints ni des Anges. Il était bâti par des mains d’hommes, cimenté d’honnête sang d’hommes et de larmes. Demain on compterait les déchets et les pertes ; ce soir il n’y avait pas de place pour la tristesse et le regret.

Toute la nuit, ce fut dans Londres la même furie triomphale, le même indescriptible délire. Dingley en écoutait toujours

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