Page:Tenant de Latour - Mémoires d’un bibliophile, 1861.djvu/34

Cette page a été validée par deux contributeurs.

depuis qu’il a quitté les Charmettes, il retrouve la pervenche, et il la retrouve à Cressier, dans le voisinage de Motiers-Travers, qu’il habitait encore ; c’est là, certainement, la même fleur qui lui arracha ce cri d’enthousiasme et de sympathique souvenir, la même qu’il a recueillie, qu’il a insérée dans le livre, alors son livre favori ; et c’est moi qui possède aujourd’hui cette merveilleuse fleur, la véritable pervenche, trésor inappréciable pour tout ce qui a reçu du ciel une certaine manière de sentir. Ne trouvez-vous pas, en effet, Madame, qu’il y là de quoi faire sécher d’envie les Charles Nodier, les Aimé Martin, les Guilbert de Pixéricourt, je veux dire les hommes d’esprit du métier, ceux qui ne se renferment pas uniquement dans la partie matérielle du goût des livres, et qui, faiblesse pour faiblesse, accepteront plus volontiers celle qui s’attache aux restes d’une vieille fleur, espèce d’événement moral dans la vie d’un homme célèbre, que celle qui se préoccupe d’une ligne de plus ou moins célèbre dans la grandeur des marges d’un Elzévir ?

Au reste, cette découverte fut assez singulièrement pressentie dans le temps même où je fis la rencontre de ma précieuse Imitation. Parmi ceux des miens qui m’entouraient alors, il s’en trouvait un, encore presque enfant, mais qui déjà manifestait des instincts poétiques. Il soutint, en riant, que c’était, sans aucun doute, la fleur même qui avait tant ému Rousseau.