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volume, et j’achève d’en faire les honneurs dans la maison, particulièrement à M. R…r, juge si compétent sous tous les rapports. Ce fut assurément un jour bien heureux dans ma vie, un jour rempli de surprises plus agréables les unes que les autres, mais dont, malgré moi, je prolongeai un peu trop le charme en ne fermant pas l’œil de toute la nuit.

Bientôt le bruit de ma découverte se répandit dans tout le petit cercle des bibliophiles. Chacun, selon l’usage, l’estimait plus ou moins, suivant ses goûts particuliers. M. de Musset-Pathay regrettait vivement de n’en avoir pas eu connaissance avant la publication de son Histoire de la vie et des ouvrages de Rousseau. « Combien tout cela donne à penser ! répétait-il comme moi ; voyez donc, Rousseau n’a jamais dit un mot de ce livre ! » Et cependant la mémoire de M. de Musset le trompait alors, ainsi que les nôtres, comme vous le verrez dans la suite de cette narration.

Enfin la petite rumeur de surprise et d’admiration qui s’était élevée entre deux ou trois libraires et cinq ou six amateurs finit par se calmer entièrement, comme il arrive de tous les bruits de ce monde. Je me gardai bien de faire mettre une reliure nouvelle à mon cher petit volume ; je le conservai in puris, tel qu’il était sorti des mains de Rousseau ; seulement je lui fis confectionner un bel étui en cuir de Russie, et je le plaçai sur le rayon de ma bibliothèque le plus apparent, sur celui qui contenait le plus de choses