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Daçaratha[1], ou des Mavromikhalis[2], nous le reconnaissons pour un homme de ce temps à son amertume, à sa philosophie révoltée et blasphématoire. Mais qu’a de commun avec nous M. de Banville ? Il n’a rien senti de nos inquiétudes et rien connu de nos maux. Notre âme lui est restée étrangère. Il a, lui, l’âme d’un enfant ou d’un dieu. L’univers lui apparaît comme une immense et splendide féerie. Il ne voit pas les innombrables laideurs des choses, et il n’est pas frappé de l’infinie cruauté de la nature. Il transforme et « apothéose [3] » tout, et il chante inépuisablement l’ivresse de vivre dans ce monde enchanté qu’il imagine.

S’il est de son temps en quelque chose, c’est en ceci seulement que le spectacle même de notre tristesse a pu l’affermir dans son parti-pris de voir tout en beau. Et sans doute encore, observant comme chacun autour de lui s’attribuait une mission, et se disait dépêché ici-bas « par un décret nominatif de l’Éternel », il s’est cru une mission lui aussi, celle de nous consoler et de nous arracher à

  1. Poèmes Antiques.
  2. Poèmes Tragiques.
  3. Le mot est de Baudelaire, dans son étude sur M. de Banville.