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moment où il se lamente, et que visiblement les cruautés du destin lui sont avant tout une matière à faire de grands vers. Et ces vers nous fatiguent à la longue, parce que tout y est poussé au même ton, et mis en saillie d’un relief égal. Hugo a dit admirablement de Satan, qui dans sa chute au fond du gouffre voit disparaître au dessus de lui le dernier astre :

Il replia son aile aux ongles de granit,
Et se tordit les bras : et l’astre s’éteignit.[1]

Mais, de Satan aussi, M. Leconte de Lisle écrit :

Et, se tordant les bras, et crispant ses orteils…[2]

Et je crois voir une statue où l’orteil serait de même longueur que le bras. Ainsi de la sonorité de ses vers. Ils seraient assurément les plus beaux du monde, si l’on accordait seulement que les « chants les plus beaux » sont ceux qui font le plus de bruit. Mais le mérite des grands poètes, ce n’est point précisément de faire du bruit et d’en faire toujours. C’est de donner plus d’intensité et de puissance à l’accent des émotions humaines. Où l’accent se perd, le bruit n’est plus

  1. La Fin de Satan.
  2. La Tristesse du Diable (Poèmes barbares).