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peu de toute pensée, et en même temps il sentait s’amasser et s’agiter en lui une force toujours inemployé, parce qu’il ne trouvait jamais de résistance au dehors ; et il résultait de là un double tourment. Même sur terre, on se fût lassé d’une telle vie ; on devait s’en lasser plus sûrement et plus vite encore au ciel. Sur terre, on change sans cesse, et on voit tout changer autour de soi ; on a envie de se retenir à tout, parce que tout passe et qu’on se sent passer aussi ; et on s’attache d’autant plus aux choses qu’on peut craindre à chaque instant de se les voir arracher violemment, et qu’en tout cas on les sent vous échapper un peu chaque jour. Mais ceux qui sont au paradis sont les habitants fixes d’un monde fixe ; et leur vie est pareille à une horloge arrêtée. Ils savent que pendant des siècles ils doivent conserver le même âge et posséder les mêmes bonheurs ; et ils se désintéressent vite d’une aussi monotone félicité. L’homme se dit qu’il voudrait posséder à jamais ce plaisir qu’il saisit un instant, qui se dérobe aussitôt et qu’il s’épuise à poursuivre ici et là ; et le petit chat songe aussi qu’il voudrait bien tenir pour toujours ce ruban bleu qu’on agite de côté et d’autre devant lui, et qui le fait tant courir. Mais qu’on donne au chat le ruban immobile