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C’est ainsi, ô Abd-er-Rhaman, que nous, qui sommes ici depuis longtemps, de siècle en siècle nous nous sentons décroître et mourir, tels que des restes de feu qui s’éteignent dans la cendre, ou que des flocons de neige qui se fondent sur les eaux. De corps que nous étions, nous sommes devenus fantômes ; ces fantômes deviendront fumée, et cette fumée deviendra néant. Et loin d’accuser le destin, nous le remercions d’en avoir disposé ainsi, de n’avoir pas voulu que nous fussions châtiés éternellement de la niaiserie de notre rêve mystique, et de nous avoir réservé pour l’avenir le repos que nous aurions dû lui demander dès l’abord…

De tels discours n’étaient point pour remettre la joie au cœur d’Abd-er-Rhaman ; et la tristesse du tâleb ne fit en effet que grandir.

Du reste, il n’avait qu’à vouloir pour changer de séjour ; et ce privilège était fort envié des autres élus, de ceux-là surtout que le scrupule avait fait vivre dans la continence. Comme, à sa place, ils se seraient hâtés d’échanger les mornes plaisirs de ce paradis de fantômes contre les solides jouissances du jardin de Mahomet ! Ils le lui disaient, et ils le regardaient avec un sourire triste et jaloux, car aucun regret n’égale en amertume celui