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tristesse elles-mêmes ne suffirent bientôt plus à l’occuper ; et il sentit s’alourdir peu à peu sur sa pensée le poids d’un immense ennui.

Alors il interrogea les autres bienheureux, et il s’aperçut qu’ils étaient tous possédés d’un ennui égal, que tous étaient accablés de la monotonie de leur bonheur, et qu’il n’y avait point un seul d’entre eux qui ne fût rassasié de contempler toujours le même ange, indéfiniment multiplié, et d’entendre chanter toujours les mêmes vers, aux sons éternels de la harpe et du psaltérion.

— Mon fils, lui disait un jour un vieillard à longue barbe blanche, on me nommait autrefois Raban-Maur, et j’étais célèbre pour ma tristesse autant que pour mon savoir entre tous les moines de l’abbaye de Fulda. Mais, si triste que j’aie été sur terre, je le suis devenu bien davantage encore depuis mille ans que j’habite au ciel. Ma fatigue a été en grandissant de siècle en siècle, et elle est aujourd’hui sans bornes. Depuis longtemps j’ai perdu le courage de me plaindre et d’errer de l’un à l’autre, comme tu fais dans l’inquiétude de ton inaction. Je ne m’éloigne plus de ce siège où tu me vois ; j’y passe des jours sans faire un mouvement et des mois sans me lever. Ma seule