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visage exprimait une douceur ineffable, il y en avait d’autres, en grand nombre, dont l’aspect était rébarbatif et le regard patibulaire. Abd-er-Rhaman apprit que c’étaient des voleurs et des faussaires, des chourineurs et des assassins, des tueurs de femmes et de petits enfants, à qui la peur avait donné au dernier moment le repentir et la foi, et qui avaient reçu les sacrements avant de marcher au supplice. La calme existence du paradis n’avait pu modifier leurs traits ; la férocité y subsistait, quelque peu atténuée peut-être et plus vague, comme sur le visage d’un monstre endormi. Abd-er-Rhaman n’aimait point se trouver face à face avec un de ces élus ; il sentait bien, à la façon dont ils fixaient sur lui leurs yeux troubles, qu’ils n’avaient au fond rien perdu de leurs instincts d’autrefois ; et il ne pouvait s’empêcher de songer que si les Esprits eussent été assez matériels pour donner et recevoir des coups, le paradis du doux maître Galiléen eût eu besoin d’une police bien vigilante pour ne point devenir tout à fait inhabitable aux gens pacifiques.

Cependant, Abd-er-Rhaman, maintenant que ses oreilles s’habituaient au retentissement de la musique céleste, commençait à percevoir des bruits lointains