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est mort et il n’a pu le dire encore tranquillement à personne… Il faudrait le dire avec ordre, posément ; raconter comment son fils est tombé malade, comme il a souffert ; ce qu’il a dit avant de mourir et comment il est mort… Il faudrait dire son enterrement et le voyage à l’hôpital pour reprendre les hardes qu’il a laissées. Il reste de lui, au village, une fille, Anîssia ; il faudrait aussi en parler. Il y a tant de choses dont Iôna aurait à parler maintenant !… Celui qui l’écouterait, soupirerait, gémirait et saurait le plaindre. Raconter tout cela à des femmes ce serait mieux encore. Elles sont bêtes, mais il ne faut que deux mots pour les faire pleurer…

– Il faut que j’aille voir mon cheval, se dit Iôna. Tu auras tout le temps de dormir, va !… N’aie pas peur, tu dormiras assez !…

Il s’habille et s’en va à l’écurie.

Il songe à l’avoine, au foin, au temps qu’il fait.

Songer à son fils, quand il est seul, il ne le peut pas… Il en pourrait parler à quelqu’un, mais y songer tout seul et se le représenter en vie, c’est affreusement pénible.

– Tu manges ? demande-t-il à son cheval, en voyant ses yeux qui luisent. Allons, mange, mange ! Puisque nous n’avons pas gagné notre avoine, mangeons du foin… Oui !… je suis déjà vieux pour faire le cocher… Mon fils, ça lui allait bien, mais