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Et Iôna se tourne pour raconter comment est mort son fils.

Mais le bossu, faisant un léger soupir, annonce que, grâce à Dieu, ils sont arrivés… Iôna reçoit ses vingt kopeks et regarde longuement les fêtards disparaître sous un portail noir.

Seul encore une fois ! Et une fois encore le silence recommence… Sa peine, un instant adoucie, renaît et distend sa poitrine avec une force plus grande. Les yeux de Iôna courent anxieux sur les groupes de gens qui se pressent des deux côtés de la rue. Ne se trouvera-t-il pas dans ce millier de gens quelqu’un pour l’entendre ? Mais les gens passent sans remarquer ni lui ni sa peine…

Peine énorme, sans borne ! Si la poitrine de Iôna éclatait et si son angoisse s’en répandait, il semble qu’elle inonderait le monde entier, et pourtant nul ne la voit ! Elle a su se loger dans une enveloppe si mince qu’on ne la verrait même pas en plein jour avec une lumière…

Iôna aperçoit un dvornik qui tient un sac de natte, et il décide de causer avec lui.

– Ami, lui demande-t-il, quelle heure peut-il être ?

– Neuf heures passées… Qu’as-tu à t’arrêter ici ? lui dit le dvornik. File !

Iôna avance de quelques pas, se ramasse sur lui-même et s’adonne à sa peine… S’adresser aux gens, il voit maintenant que c’est peine perdue…