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vérité, on n’y croit pas… Vous rappelez-vous la façon dont vous avez divorcé ? Près de vingt ans ont passé ; je parie que vous avez tout oublié, et moi je me souviens de tout comme si c’était hier. Mon Dieu, que je me suis donné du mal alors ! J’étais un gaillard retors, chicaneur, une tête brûlée… Comme j’étais impatient en ce temps-là de m’employer à une affaire de chicane, surtout quand les honoraires étaient bons, comme dans votre procès ! Qu’est-ce que vous m’avez payé alors ? cinq mille ? six mille roubles ? Comment ne pas se donner du mal pour ce prix-là ? Vous êtes parti pour Pétersbourg et vous m’avez laissé toute l’affaire sur les bras ; fais comme tu sauras ! Votre défunte épouse, Sôphia Mikhâilovna, bien que d’une famille de marchands, était fière et avait de l’amour-propre. La payer pour qu’elle prît les torts était difficile, extrêmement difficile !… Je viens, par exemple, une fois conférer avec elle. Dès qu’elle m’aperçoit, elle crie à sa bonne : « Mâcha, je t’avais recommandé de ne pas recevoir de canailles ! » J’essayais ceci et cela ; je lui écrivais ; je tâchais de la rencontrer à l’improviste : rien ne prenait ! Il fallut faire agir un tiers. Je me suis longtemps démené avec elle, et ce n’est que quand vous avez consenti à donner dix mille roubles qu’elle a commencé à fléchir. Dix mille roubles, elle n’a pas pu résister ! Elle s’est mise à pleurer, elle m’a craché