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que je ne susse pas lire le russe. Enfin, que voulez-vous, on ne peut pas vivre sans fanatisme, car il faut bien que chaque peuple conserve instinctivement sa nationalité ! Mais je ne savais pas cela alors, et je me révoltais de tout mon cœur.

Après avoir dit une phrase si éclairée, l’ex-Isaac leva de plaisir encore plus haut son sourcil droit, et me regarda de biais comme un coq regarde un grain, d’un air de dire : « Maintenant vous serez convaincu, il me semble, que je ne suis pas le premier venu. »

Continuant à parler du fanatisme de son entourage et de l’inclination irrésistible qu’il avait à s’instruire, il poursuivit :

– Que pouvais-je faire ? Je m’enfuis un jour, sans dire gare, à Smolensk. J’y avais un cousin étameur et ferblantier ; j’étais nu-pieds et en guenilles ; je n’avais pas le sou ; j’entrai chez lui comme apprenti. Je pensais que le jour je travaillerais, et que la nuit et les samedis je m’instruirais. C’est en effet ce que je fis. Mais la police apprit que je n’avais pas de passeport, et elle me reconduisit par étapes chez mon père.

Alexandre Ivânytch leva une épaule et soupira.

– Que faire ? continua-t-il (et à mesure que le passé renaissait à son souvenir, l’accent israélite reparaissait plus marqué dans ses paroles) ; mes parents me punirent et me donnèrent à un vieil