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me raconter, en résumé, sa longue biographie.

– Dès ma plus tendre enfance, j’eus l’amour de l’instruction, commença-t-il, comme s’il n’eût point parlé de lui-même, mais de quelque grand homme mort. Mes parents, de pauvres Israélites, s’occupant de commerce de détail, vivaient par misère, voyez-vous, dans la crasse. En général, tout le monde là-bas est pauvre et superstitieux. On se défie de l’instruction parce que l’instruction, comme on peut le comprendre, éloigne l’homme de la religion. Ce sont des fanatiques finis !… Mes parents ne voulaient, sous aucun prétexte, m’instruire. Ils désiraient que je m’occupasse comme eux de commerce et que je n’apprisse comme eux que le Talmud… Mais toute la vie lutter pour un morceau de pain, se traîner dans la crotte, mâchonner le Talmud, avouez-le, ce n’est pas donné à tout le monde. Il venait parfois, dans le débit que mon père tenait, des officiers et des propriétaires qui discouraient longuement de ce qu’alors je ne m’étais même pas avisé de rêver. Néanmoins, ce qu’ils disaient m’attirait et me donnait envie d’apprendre. Je pleurais et je demandais qu’on me mît à l’école, mais on m’avait appris à lire l’hébreu, et on ne voulait plus rien entendre. Un jour, je trouvai un journal russe et le portai à la maison pour en faire une queue de cerf-volant. On me battit pour cela à fond, bien