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Akssînia entra en courant dans la cuisine où l’on faisait une lessive. Lîpa y était seule, savonnant ; la cuisinière était allée rincer du linge à la rivière. De la vapeur sortait de l’auge de bois et de la marmite près du foyer ; la cuisine était pleine de buée et l’air y était étouffant. Par terre restait un tas de linge sale, et auprès, sur un banc, étirant ses petites jambes rouges, était couché Nikîphore, en sorte que s’il fût tombé, il n’eût pas pu se faire de mal. Lîpa venait de tirer du tas une des chemises d’Akssînia, et, la mettant dans l’auge, elle allongeait le bras vers la table sur laquelle était posé, plein d’eau bouillante, un long puisoir.

– Rends cela ! dit Akssînia, la regardant avec haine et tirant sa chemise de l’auge. Ce n’est pas ton affaire de toucher mon linge ! Tu es la femme d’un forçat et tu dois savoir ta place !

Lîpa la regarda, craintive, sans comprendre, mais tout à coup, surprenant le regard qu’elle jetait à son enfant, elle comprit, et elle pâlit comme une morte.

– Tu as pris ma terre, voilà pour toi !

Disant cela, Akssînia saisit le puisoir et renversa d’un coup l’eau bouillante sur Nikîphore…

Il s’entendit un cri comme on n’en avait jamais entendu à Oukléevo et il ne semblait pas qu’une créature aussi faible que Lîpa pût crier ainsi. Un silence, soudainement, se fit tout à l’entour.