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Il buvait peu et, d’avoir bu un verre d’eau-de-vie anglaise, il était ivre. Cette ignoble eau-de-vie faite d’on ne sait quoi stupéfiait tous ceux qui en buvaient, comme si on les eût frappés. Les langues commençaient à s’embrouiller.

Il y avait à la fête le clergé, les contremaîtres des fabriques et leurs femmes, des détaillants et des aubergistes des autres villages. Le starchine du canton et son secrétaire, qui servaient ensemble depuis quatorze ans et qui, dans tout ce temps-là, n’avaient pas signé un papier ni laissé sortir des locaux administratifs un seul homme sans l’avoir trompé ou lésé, étaient assis l’un à côté de l’autre, tous deux gros, bouffis, et si nourris, semblait-il, d’injustice, que même la peau de leur visage était particulière et semblable à celle d’un coquin. La femme du secrétaire, qui était extrêmement maigre et bigle, avait amené avec elle tous ses enfants. Pareille à un oiseau de proie, elle louchait sur les assiettes, attrapant tout ce qui lui tombait sous la main et le cachait pour elle et pour ses enfants, dans ses poches.

Lîpa, pétrifiée, était assise avec la même expression de visage qu’à l’église. Anîssime, depuis le moment où il avait fait connaissance avec elle, ne lui avait pas dit un mot et ne savait pas encore quel était le son de sa voix.

Assis auprès d’elle, il continuait à se taire et