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Lans, ensuite La Bassée ; de là vous irès brusler les faubours de Lisle et ravager la Flandre[1], puis vous reviendrez assieger Bapaume et après l’avoir pris vous irés faire lever un siége aux ennemis ou entreprendre quelque autre chose ; n’eussiez-vous pas aussy tost entrepris d’aller à la cour de l’admiral Gaudisse couper en sa présence la teste à un de ses barons, luy arracher quatre dens machelières et une poignée de la barbe, et l’obliger à envoyer tous les ans trois cens viautres[2] et trois cens pucelles. Sans mentir, vous estes de terribles gens de faire toutes les choses que vous faites et je ne crois pas que le Roy Obéron[3] ne soit avecque vous[4].



II

À Monseigneur le Maréchal de Guiche[5]


Monseigneur,

Ayant tousjours pris tant de part à toutes vos bonnes fortunes, il ne peut estre que je n’en prenne aussy aux mauvaises et que la nouvelle qui nous est icy venue ne m’ayt mis en une extresme peine[6]. Je ne doubte pas, Monseigneur, qu’estant aussi sage que vous estes, vous ne vous soiés préparé il y a long temps à ce qui est

  1. Sur tous ces événements militaires on peut consulter les Mémoire de Puységur, déjà mentionnés, et les rapprocher des Mémoires de Monglat. Les deux narrateurs se complètent l’un l’autre.
  2. S’agit-il de vautres, sorte de chiens destinés à la chasse de l’ours et du sanglier ?
  3. Est-il besoin de rappeler qu’Obéron est, dans la mythologie scandinave, le roi des génies de l’air et qu’il a été délicieusement chanté par Shakspeare et par Wieland
  4. On connaît trois autres lettres imprimées de Voiture au maréchal de Gramont, une du 6 octobre 1640, bien digne du « père de l’ingénieuse badinerie, » comme l’appelle Tallemant des Réaux (t. iii, p. 58), où, à propos d’un combat du 2 août précédent sous les murs d’Arras, il reproche au brillant mestre de camp de l’armée du maréchal de la Meilleraie son trop bouillant courage ; une, du 22 septembre 1641, où il le félicite de sa promotion à la charge de maréchal de France, enfin, une du mois d’avril 1644, où il lui exprime sa sympathie à l’occasion de la mort de son père, mais où il mêle à ses compliments de condoléance des plaisanteries de mauvais goût qui ont été justement critiquées par Voltaire.
  5. Le nouveau maréchal resta quelques années sans prendre le nom de Gramont. « Alors [à la date de 1642], dit Tallemant des Réaux (t. iii. p, 176), il ne s’appelloit que le maréchal de Guiche. »
  6. La nouvelle de la bataille d’Honnecourt (26 mai 1642), où le maréchal de Gramont fut battu par le général don Francisco de Mello. Voir sur ce combat les Mémoire de Puységur (t.ii. p.12). Ce vaillant capitaine assure que le combat où il fut fait prisonnier avait été livré contre son avis.