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laisse vivre, elle vous a osté depuis quinze ans près de la moitié de vostre vie. Cependant, Monsieur, il est vray que ceux qui la font avec tant de gloire que vous y doivent trouver de grands charmes et sans mentir, ce consentement de tout un peuple avec tous les honestes gens à mettre un homme au-dessus des autres, est une chose si douce qu’il n’y a point d’ame bien faite qui n’en doive estre touchée, ny de travail que cela ne puisse rendre suportable. Pour moy (car je prétens avoir aussy bien que vous ma part des incommodités de la guerre, puisqu’elle m’oste l’honneur de vous voir), je vous avoue que vostre réputation me console de vostre absence, et quelque plaisir qu’il y ait de vous ouir parler, j’ayme autant celuy d’ouir parler de vous. Je souhaite neantmoins, Monsieur, que vous veniés bien tost icy jouir en repos de la gloire que vous aves acquise et qu’après tant de peines et tant de courses vous ayés le plaisir tout cest hiver d’aller quelque tems qu’il fasse deux ou trois fois la semaine de Paris à Ruel[1] et de Ruel à Paris. Alors je vous diray à loisir les alarmes ou j’ay esté pour vous et la passion avec laquelle je suis,

Monsieur,
Votre tres humble et tres obéissant serviteur,
Voiture.

À Paris, le 19 de septembre (1641)[2]

Depuis avoir escrit ma lettre[3] j’ay apris la prise de Bapaume et que vous alliés à La Bassée. Dittes moy je vous suplie très humblement, Monsieur, qui vous eut dit au commencement de cette campagne : vous irés assiéger Aire, après il vous faudra prendre

  1. Chez le cardinal de Richelieu qui avait une si agréable maison de campagne dans ce village (Seine-et-Oise). Voir sur cette maison une note de M. Paulin Paris (Historiettes de Tallemant des Réaux, t. i, p. 220). Voiture, souvent employé dans des missions diplomatiques, était un des familiers du grand ministre.
  2. Cette lettre a été déjà publiée dans plusieurs éditions des Œuvres de Voiture, notamment dans les Lettres et poésies de M. Voiture (Paris, 1669, in-12) et dans l’édition donnée par M. A. Vbicini, chez Charpentier (Paris, 1855. t.i). Mais cette lettre a été si mal publiée, que l’on ne sera pas fâché d’en retrouver ici un texte absolument conforme à l’original. Il serait trop long de relever tous les passages où les expressions de l’auteur ont été infidèlement reproduites, soit de notre temps, dans les trois éditions Roux, Vbicini et Vzanne, soit au xviie siècle.
  3. Ce curieux post-cristum n’a été inséré dans aucune des éditions que nous venons de citer. On voit que si notre document n’est pas entièrement inédit, il est, en quelque sorte, presque entièrement nouveau.