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NAPOLÉON BONAPARTE


Tout au rebours pour ces esprits primesautiers, de sang vierge et de race neuve. — Au commencement du gouvernement consulaire, Rœderer, juge expert et indépendant, qui voit chaque jour Bonaparte au Conseil d’État et note le soir ses impressions de la journée, reste stupéfait d’admiration[1] : « Assidu à toutes les séances ; les tenant cinq à six heures de suite ; parlant, avant et après, des objets qui les ont remplies ; toujours revenant à deux questions : cela est-il juste ? cela est-il utile ? examinant chaque question en elle-même sous ces deux rapports, après l’avoir divisée par la plus exacte analyse et la plus déliée ; interrogeant ensuite les grandes autorités, les temps, l’expérience ; se faisant rendre compte de la jurisprudence ancienne, des lois de Louis XIV, du grand Frédéric… Jamais le Conseil ne s’est séparé sans être plus instruit, sinon de ce qu’il lui a enseigné, du moins de ce qu’il l’a forcé d’approfondir. Jamais les membres du Sénat, du Corps Législatif, du Tribunat ne viennent le visiter sans emporter le prix de cet hommage en instructions utiles. Il ne peut avoir devant lui des hommes publics sans être homme d’État, et tout devient pour lui Conseil d’État. » — « Ce qui le caractérise entre tous », ce n’est pas seulement la

  1. Rœderer, III, 380 (1802). — Mes souvenirs sur Napoléon, 226, par le comte Chaptal. (Quand ces notes seront publiées, on y trouvera nombre de détails à l’appui des jugements portés dans ce chapitre et dans le suivant ; la psychologie de Napoléon, telle qu’on la présente ici, en tire un surcroît de confirmation.) — (Les Souvenirs ont été publiés en 1894.) — Note des éditeurs.