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LES JACOBINS


et toute action ou parole des autres tend à lui prouver qu’il a raison. D’autant plus qu’un dogme incontesté finit par paraître incontestable ; or le Jacobin vit dans un cercle étroit et soigneusement fermé où nulle idée contradictoire n’est admise. Deux cents personnes lui semblent le public ; leur opinion pèse sur lui sans contrepoids, et hors de leur croyance, qui est la sienne, toute croyance lui paraît absurde ou même coupable. D’ailleurs, à ce régime continu de prêches qui sont des flatteries, il a découvert qu’il est patriote éclairé, vertueux, et il n’en peut douter : car, avant de l’admettre dans la Société on a vérifié son civisme, et il en porte le certificat imprimé dans sa poche. — Il est donc membre d’une élite, et cette élite, ayant le monopole du patriotisme, parle haut, fait bande à part, se distingue des simples citoyens par son accent et ses façons. Dès ses premières séances[1], le club de Pontarlier interdit à ses membres les formules de la politesse ordinaire. « On s’abstiendra de l’usage de se découvrir pour saluer son semblable ; on évitera soigneusement en parlant de se servir des mots j’ai l’honneur et autres pareils. » Surtout on devra prendre un juste sentiment de son importance. « À Paris, la fameuse tribune des Jacobins seule ne fait-elle pas trembler les imposteurs et les traîtres ? Et, à son aspect, les contre-révolutionnaires ne rentrent-ils pas tous dans la poussière ? » — Cela est vrai dans la province comme dans la capitale ; car, à peine institué, partout le club s’est mis à travailler la populace. Dans plusieurs grandes

  1. Sauzay, I, 214, 2 avril 1791.