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LA RÉVOLUTION


enfin ses tribunes regorgent de figures patibulaires, d’aboyeurs apostés, et il délibère sous des menaces de mort. — C’est pourquoi, à mesure que la nuit s’avance, entre les deux assemblées, l’une légale, l’autre illégale, qui siègent ensemble et en face l’une de l’autre comme sur les deux plateaux d’une balance, on voit l’équilibre se rompre. D’un côté la lassitude, la peur, le découragement et la désertion, de l’autre côté le nombre, l’audace, la force et l’usurpation vont croissant. À la longue, la seconde arrache à la première tous les arrêtés dont elle a besoin pour lancer l’insurrection et paralyser la défense. — Pour achever, vers les six heures du matin, le comité intrus suspend, au nom du peuple, le conseil légitime, l’expulse, et s’installe sur ses fauteuils.

Tout de suite le premier acte des nouveaux souverains indique ce qu’ils savent faire. Appelé à l’Hôtel de Ville, le commandant général de la garde nationale, Mandat, était venu justifier devant le conseil ses dispositions et ses ordres. Ils le saisissent, l’interrogent à leur tour[1], le destituent, nomment Santerre à sa place et, pour tirer plein profit de leur capture, somment leur prisonnier de faire retirer la moitié des troupes qu’il a placées autour du château. Très noblement et sachant à quoi il s’expose dans ce coupe-gorge, celui-ci refuse ; aussitôt on le met en prison, puis on l’expédie à l’Abbaye, « pour sa plus grande sûreté ». Sur ce mot

  1. Mortimer-Ternaux, II, 270, 273. Le procès-verbal officiel de l’interrogatoire de Mandat renferme cinq faux matériels, par omission ou substitution.