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LE PEUPLE


« payement des impôts dont ils sont surchargés. » Dans la même province, à Forges, « bien des malheureux mangent du pain d’avoine, et d’autres du son mouillé, ce qui a causé la mort de plusieurs enfants[1] ». — Il est clair que le peuple vit au jour le jour ; le pain lui manque sitôt que la récolte est mauvaise. Vienne une gelée, une grêle, une inondation, toute une province ne sait plus comment faire pour subsister jusqu’à l’année suivante ; en beaucoup d’endroits il suffit de l’hiver, même ordinaire, pour amener la détresse. De toutes parts, on voit des bras tendus vers le roi, qui est l’aumônier universel. Le peuple ressemble à un homme qui marcherait dans un étang, ayant de l’eau jusqu’à la bouche ; à la moindre dépression du sol, au moindre flot, il perd pied, enfonce et suffoque. En vain la charité ancienne et l’humanité nouvelle s’ingénient pour lui venir en aide : l’eau est trop haute. Il faudrait que son niveau baissât, et que l’étang pût se dégorger par quelque large issue. Jusque-là le malheureux ne pourra respirer que par intervalles, et à chaque moment, il courra risque de se noyer.

II

C’est entre 1750 et 1760[2] que les oisifs qui soupent commencent à regarder avec compassion et avec alarme

  1. Hippeau, ib., VI, 74, 243 (Doléances rédigées par le chevalier de Bertin).
  2. Article Fermiers et Grains dans l’Encyclopédie, par Quesnay, 1756.